12 janvier 2008

Travailler plus : pour qui, pour quoi ?

Encore un article très intéressant qui permet d'ouvrir les yeux et de mettre à mal la propagande Sarkozyste...

Après avoir été un slogan de campagne électorale, c'est devenu le tube de la rentrée: il faut tra-vail-ler-plus. Pour augmenter le pouvoir d'achat, pour sortir de la pauvreté, pour financer les retraites... Eh bien non, justement, pour les retraites, ça ne marche pas. C'est ce que montre le bilan de la loi de 2003 que vient de dresser le Conseil d'orientation des retraites (COR). L'allongement de la durée de cotisation était censé financer les retraites, c'est-à-dire permettre, dans la novlangue libérale, de maintenir le niveau des pensions en cotisant plus longtemps. Mais les salariés partent toujours aussi tôt. Et pour cause: 60% d'entre eux ne sont plus dans l'emploi quand ils atteignent 60 ans. Difficile de travailler plus quand on n'a pas de boulot. Bref, allonger la durée de cotisation est une façon déguisée de baisser le niveau des pensions.

Plus profondément, c'est la logique implicite de ce raisonnement qui est perverse. Le débat sur les retraites permet précisément de prendre le recul nécessaire pour sortir de cette équation sommaire selon laquelle on gagne a priori plus en travaillant trois heures que deux. Que disent les scénarios officiels que personne ne conteste ? Compte tenu des gains de productivité, il faudra travailler environ deux fois moins dans quarante ans pour produire autant qu'aujourd'hui. On pourrait donc diminuer la durée du travail par deux ou travailler six mois dans l'année au lieu de douze: n'est-ce pas une bonne nouvelle ? Bien sûr, il faudra financer les retraites. Pour cela, il faudrait travailler environ un mois et demi de plus. C'est beaucoup. Mais à ce prix-là, on pourrait revenir sur les réformes dévastatrices de ces quinze dernières années, qui programment un appauvrissement considérable des retraités.

Faut-il travailler encore davantage ? Cela demande réflexion. Travailler encore plus, peut-être. Mais pour qui et pour quoi ? Travailler plus pour sortir les pauvres de la misère ? C'est un objectif sur lequel on peut s'entendre. Et d'ailleurs, cela ne coûte pas si cher: avec une à deux semaines de travail supplémentaires, on peut y parvenir. On arriverait donc, en finançant les retraites, à travailler environ huit mois dans l'année. Faut-il travailler encore plus pour faire monter les cours de Bourse, pour doubler des salaires de dirigeants déjà exorbitants ou pour que chaque salarié puisse s'offrir une Rolex ? Pas sûr que cela en vaille vraiment la peine. Voilà, en tout cas, un débat d'après campagne qui pourrait revigorer notre démocratie.

Pierre Concialdi, économiste à l'Ires.
Alternatives Économiques de janvier 2008

11 janvier 2008

Deuxième Vidéo

Après une période assez longue de brouillard intense sur la gironde, j'ai décidé de faire une autre vidéo. Cette fois-ci, c'est une approche CATIIIa sur Bordeaux-Mérignac du vol AF5457ZF opéré par Régional. L'atterrissage se fait piste 23 et les communications sont réelles.

Bon visionnage...


20 octobre 2007

37.5 torchons ou bien 40 serviettes

Voici un texte de Claude Danthony, maître de conférences de mathématiques, École normale supérieure de Lyon. Encore un texte très instructif qui plombe la démagogie qui règne en ce moment sur les retraites...

Un grand battage médiatique ne cesse actuellement d'opérer une comparaison entre le nombre d'annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein, avec 37,5 dans le public et 40 dans le privé et de déduire de ces deux chiffres que c'est inéquitable. Mais personne ne pense à préciser que le même mot « annuité » correspond à des réalités tellement différentes dans les deux régimes que la comparaison n'a guère de sens : Autant donc ajouter des torchons et des serviettes !



Démonstration : Nous avons tous appris à l'école qu'on n'ajoute pas des choux et des carottes ou des torchons et des serviettes. Tout comptable sait que des comparaisons ne sont valables que si elles sont effectuées " à structure comparable ". En tant que scientifique, j'ai le devoir, lorsque je compare deux données chiffrées, de commencer par vérifier qu'elles correspondent à la même réalité, par exemple elles sont exprimées dans la même unité. Sinon, on peut faire dire absolument n'importe quoi aux chiffres.

Le mot " annuité " correspond en fait à un nombre issu de calculs totalement différents dans les deux régimes. En gros :
  • Dans le public, le nombre d'annuités correspond au temps où l'on occupe effectivement un emploi, au prorata du temps de travail (ainsi, 1 an de travail à mi-temps donne une demi-annuité, 1 an à 80% donne 0,8 annuité, etc.).
  • Dans le privé, c'est bien plus compliqué. Cela dépend d'abord des sommes perçues : On valide, pour chaque année civile, un nombre de trimestres correspondant au salaire soumis à cotisations dans l'année. C'est ainsi, pour prendre un exemple, qu'un cadre qui a travaillé 3 mois dans une année civile obtiendra une annuité entière (alors qu'un smicard qui a travaillé 3 mois n'obtiendra lui que 0,5 annuité : est-ce bien équitable ?). De même, un an de travail à mi-temps compte pour une annuité complète. On rajoute ensuite certaines périodes non travaillées : chômage (en partie), congé parental (sous conditions), etc.
A cela s'ajoutent des bonifications qui diffèrent totalement entre les deux régimes, dont la bonification pour enfant accordée aux mères (2 ans dans le privé, 1 dans le public)(1).

En résumé il est parfois plus " facile " d'obtenir des annuités dans le privé que dans le public.

Voilà un exemple qui montre bien les limites de cette comparaison. Puisque les médias se sont fait l'écho de certains avantages (oubliant les inconvénients) des femmes fonctionnaires mères de 3 enfants, prenons l'exemple d'une mère de 3 enfants qui décide de travailler 8 ans à mi-temps pour les élever :
  • Si elle est dans le privé, elle aura une bonification de 6 annuités et les 8 ans à mi-temps compteront pour huit annuités. Pour obtenir une retraite à taux plein (40 annuités), il lui faudra donc obtenir 40-8-6, soit 26 annuités supplémentaires.
  • Si elle est fonctionnaire, la bonification sera de 3 annuités et les 8 ans à mi-temps compteront pour 4 annuités. Pour obtenir une retraite à taux plein (37,5 annuités), il lui faudra travailler effectivement 30,5 années à plein temps.
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(1) Vous pensez peut-être que ce projet, qui se veut équitable, va revenir sur cette différence ? Détrompez-vous : s'il instaure une validation des périodes de congé parental, le projet supprime purement et simplement la bonification d'un an des femmes fonctionnaires, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004 ! Mais la suite parait claire : s'il passe, vous entendrez dans quelques années à la télévision : " Dans le privé il y a une bonification de 2 ans par enfant qui n'existe pas pour les fonctionnaires, c'est inéquitable ". Et on supprimera la bonification des mamans du privé !
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EST-CE BIEN ÉQUITABLE ?

Tout cela pour dire que comparer le nombre d'annuités nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein dans les deux régimes et en déduire que ce serait inéquitable car 37,5 est inférieur à 40 n'a aucun sens et relève de l'imposture. D'autant plus que la notion de " retraite à taux plein " n'a strictement rien à voir entre les deux régimes et qu'on ne tient pas compte des retraites complémentaires du privé !

Un jour où j'avais pris un énarque en flagrant délit de comparaison de chiffres incomparables, il m'avait répondu : " D'accord, mais vous, vous vous intéressez au sujet. Pour les gens, il faut des idées simples !". Je ne voudrais pas que l'opinion publique soit convaincue que les fonctionnaires seraient des privilégiés du simple fait que les médias colportent une idée aussi simple qu'inexacte.

II n'empêche que cette stratégie de dresser le privé contre le public, sur la base d'une " idée simple " permet de faire passer au second plan certaines réalités.

Elle permet d'oublier que la réforme Balladur de 93, en augmentant la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans (là on peut comparer les données puisque c'est le même régime), mais surtout par l'introduction de la décote et l'allongement de la période de référence, a déjà diminué et surtout va encore dégrader fortement les retraites du privé. Elle permet de faire passer au second plan que la réforme ne concerne pas les seuls fonctionnaires, puisque l'on va passer pour tous, de 40 annuités en 2008 à environ 42 en 2020. C'est faire oublier un des principes de ce projet de loi, qui me pose personnellement problème.

Alors que depuis le dix-neuvième siècle, l'augmentation de la richesse de la France (et des pays riches) est allée de pair avec une diminution phénoménale de la part de sa vie qu'une personne consacre à travailler, le projet revient sur l'histoire, en décidant que désormais, sur une vie, la proportion du temps consacrée au travail ne devra plus diminuer. J'entends d'ailleurs tous les jours dans les médias des personnes me dire sur un ton docte et péremptoire: " il faut que les français comprennent qu'il faut travailler plus ". Soit, ils ont peut-être raison. Mais dans la mesure où une telle affirmation est contraire à ce qui s'est passé dans les 150 dernières années, je considère, en tant que scientifique, qu'ils doivent justifier leurs affirmations. Or je n'ai jamais entendu personne me donner un véritable argument selon lequel nous serions vraiment aujourd'hui dans une situation nouvelle justifiant une inversion du phénomène historique, c'est-à-dire une augmentation du temps de travail.

Elle permet de faire oublier que ce projet est un choix politique de faire supporter aux seuls salariés actuels (pas aux employeurs ou à l'impôt) le coût de l'augmentation de l'espérance de vie, en justifiant cela par une nouvelle " idée simple " : On nous répète qu'il n'y aurait pas d'autre choix, ce qui est bien sûr faux.

Surtout, cela permet d'occulter le fait que les inégalités au sein du privé sont bien plus criantes qu'entre le privé et le public. Dans le privé, tout va dépendre de la convention collective, de la taille de l'entreprise ou encore du temps partiel subi ou choisi. Vaut-il mieux être employé à temps partiel subi d'une PME du nettoyage ou à temps plein d'une grande entreprise, avec un accord 35 heures, un CE et une convention collective très favorables ?